En 2019, le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la souveraineté numérique, la définissait comme "la capacité de l’État à agir dans le cyberespace". Cela implique de pouvoir maitriser "nos réseaux, nos communications électroniques et nos données".
Ce concept, apparu en 2010, reste encore un peu flou aujourd'hui. Même s’il peut être approché sous plusieurs angles (juridique, politique, économique, etc…), il renvoie le plus souvent au stockage et à la protection des données personnelles sous leur forme numérique, collectées par les différentes entreprises du web, avec ou sans le consentement des utilisateurs. Elle désigne l’autorité et le contrôle des individus sur leur présence ou leur représentation dans le monde numérique. L’idée de la souveraineté est donc que les données personnelles stockées dans le cloud doivent être conservées dans le pays dans lequel réside l’utilisateur, et doivent ainsi être soumises à la loi du pays concerné.
La souveraineté numérique européenne s’inscrit dans la continuité de l’initiative lancée en fin d’année dernière par le président Macron : le plan “France 2030”. Son ambition ? Permettre à la France de retrouver son indépendance et accélérer l’innovation dans les domaines stratégiques tels que l’ environnement, l’industrie ou encore les nouvelles technologies.
On peut lister quelques objectifs importants que le chef de l’Etat s’est fixé :
La France profite donc de sa présidence du Conseil de l'Union européenne pour renforcer sa stratégie nationale et en faire une initiative encore plus ambitieuse au niveau européen.
Parce que la France ne peut plus se battre toute seule à armes égales avec les grandes puissances. Depuis des décennies, la France n’a plus les moyens de rivaliser sérieusement en terme de souveraineté avec des pays comme les Etats-Unis ou la Chine. En effet, grâce à la taille de leur marché et l’aide publique massive apportée au secteur privé, ces derniers ont permis l’émergence de mastodontes qui dominent aujourd’hui l’industrie numérique mondiale.
Les fameux GAFAM américains et les BATX chinois dominent les marchés européens et les placent situation de dépendance technologique en imposant leurs propres normes et leurs propres technologies. L'influence de ces entreprises est telle qu’elles sont aujourd’hui capables de rivaliser avec la puissance de certains États.
Par conséquent, l’objectif est clair : retrouver les moyens de reconquérir notre souveraineté numérique au niveau national et surtout au niveau de l’Europe pour les années à venir. Il en va de notre sécurité mais aussi de notre prospérité économique.
Il est crucial d’un point vue stratégique que les Etats européens favorisent le développement de services et d’infrastructures cloud compétitifs pour assurer leur autonomie. C’est dans ce sens que douze états membres de l’Union (la France, l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la Hongrie, l'Italie, la Lettonie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Pologne, la Slovénie, la République tchèque) ont annoncé leur volonté de lancer un grand projet de cloud souverain à l’échelle européenne. Prenant la forme d’un PIIEC (projet important d’intérêt européen commun), il serait financé à hauteur de 7 milliards d’euros et impliquerait quelques 180 entreprises européennes.
Reste maintenant à savoir si les paroles et les annonces seront suivies par des actions concrètes et un engagement durable de ces membres. Beaucoup de commentateurs ont encore en tête l’initiative franco-allemande GAIA-X lancée en 2010 et marquée récemment par le départ de Scaleway, un des fondateurs du projet, en novembre dernier. La raison principale était la remise en question de cette souveraineté. En cause : la trop grande place accordée aux entreprises américaines et chinoises, leaders du marché de l’hébergement de données et des services en ligne, dans le projet dont l'objectif initial était de proposer une offre cohérente de cloud computing européen en recensant les infrastructures et les services autour de critères bien précis.
Les start-ups et scale-ups ont un rôle majeur à jouer pour assurer le futur économique, social et environnemental de l’Europe. Elle seront fondamentales pour sa compétitivité internationale et sa souveraineté technologique.
"Il faut qu'en 2025, on ait au moins 25 licornes", avait annoncé Emmanuel Macron en septembre 2019 devant un parterre d’investisseurs et d’entrepreneurs. Un objectif qui a été atteint le mois dernier avec la dernière levée de fonds de 355 millions de dollars d’Exote, scale-up spécialisée dans la robotique, devenant ainsi la 26e licorne française.
Prochaine étape : transformer cette ambition française en un projet de souveraineté européenne. C’est pourquoi l’initiative “Scale Up Europe” a vu le jour en mars 2021. Lancée en lien avec la Commission européenne, elle réunit aujourd’hui un ensemble d’acteurs divers (fondateurs de start-up / scale-up, investisseurs, chercheurs, grands groupes, etc..) qui ont un objectif commun : créer plus de 10 entreprises technologiques valorisées à plus de 100 Md€ au sein de l’UE avant 2030.
Désormais, il s’agit donc d’amplifier cet essor et de positionner l’écosystème de startups européen au premier rang sur la scène internationale. Pour se faire, l’Europe doit activer 3 leviers, lesquels ont été largement discutés dans le cadre de la conférence des 7 et 8 février sur la souveraineté.
Plusieurs avancées concrètes ont été annoncées à cette occasion :
La nouvelle feuille de route du Conseil européen de l’innovation (CEI) va se concentrer sur le renforcement du soutien aux scale-ups.
Cela passera par :
L’accès aux compétences clés est un facteur déterminant de la croissance de l’écosystème technologique européen : les profils internationaux représentent une ressource précieuse pour les scale-ups.
Si de nombreux États Européens ont déjà déployé des dispositifs pour faciliter l’attraction de ces talents (visas tech notamment), le manque de visibilité et de coordination continuent de freiner la mobilité des travailleurs (très) qualifiés de l'étranger vers l'Europe mais également en son sein.
C’est la raison pour laquelle plusieurs agences européennes en charge de l’attractivité et de la rétention des talents se sont engagées à faciliter les procédures administratives et l’arrivée des talents étrangers sur le sol européen. Cela se traduira notamment via la mise en place d’un guichet unique « European Tech Talents » dans chaque État membre participant à l’initiative.
Les montants des dernières levées de fonds traduisent un réel progrès des VCs à attirer de plus en plus d’investisseurs. Mais malheureusement, l’Europe continue à manquer de suffisament de fonds pour répondre aux besoins de financement des start-ups en phase de forte croissance.
Le constat est donc toujours le même : la capacité de ces jeunes pousses à grandir et "scaler" s’en voit freinée. Généralement, elles finissent soit par recourir à des financements extra-européens qui peuvent modifier profondément son identité et sa culture soit elles se font racheter.
Pour remédier à cette situation, plusieurs ministres des finances, dont Bruno Lemaire, ont préconisé d’accroître les capacités des fonds européens de capital-risque pour financer les dernières phase de développement des start-up et scale-ups européennes.
Pour cela, ils prévoient de créer un "fonds de fonds", dont la gestion sera confiée au Fonds européen d’investissement (FEI), et à la mobilisation des banques publiques nationales.
Dans la lignée de l’initiative Tibi au niveau français, ce mécanisme européen vise à faire émerger 10 à 20 fonds européens de plus de 1 milliard d’euros pour accélérer la croissance des licornes et des champions de la tech. La France et l’Allemagne se sont engagées à contribuer chacune à hauteur de 1 milliard d’euros.
Depuis plusieurs années, l’Europe avec la France en tête, montre qu’elle est déterminée à se libérer de la domination technologique des deux géants chinois et américains. Elle a compris que derrière sa souveraineté numérique se trouvaient deux enjeux primordiaux pour la décennie à venir : sa (cyber)sécurité mais aussi sa prospérité économique. Cependant, j’ai l’impression, à titre personnel, que le chemin est encore long.
En effet, la volonté politique partagée par un grand nombre d’Etats membres continue souvent à se traduire par de simples annonces conjointes et résiste difficilement à l’avance technologique des acteurs non-européens.