4 juin 2020 - Bruno Le Maire, ministre de l'Économie et des Finances, et Peter Altmaier, ministre fédéral allemand de l'Économie et de l'Énergie, officialisent le lancement d'un projet de coopération franco-allemande autour d'une "infrastructure de données" : GAIA-X.
Ce projet, déjà initié par les deux nations voisines en octobre 2019, a donc pour objectif d’assurer une meilleure souveraineté numérique en Europe, en prenant notamment le contre-pied du Cloud Act, et en créant un cadre réglementaire afin de :
En outre, ce projet vise notamment à proposer un catalogue de services Cloud aux entreprises européennes, sélectionnés sur la base de critères bien précis et définis dans les “Policy Rules” du projet.
En ce sens, GAIA-X n’est pas le replica d’un Cloudwatt et n’a pas vocation à devenir un Cloud Provider à part entière comme certains ont pu le penser lors de son lancement.
Cette ambition européenne est appuyée par les propos d’Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, qui affirmait en janvier 2020 que “pour être un acteur géopolitique, il faut pouvoir être garant de sa souveraineté numérique”.
Le projet, comptant 22 entreprises fondatrices exclusivement franco-allemandes à l’origine, totalise désormais plus de 210 membres, venant d’une vingtaine de pays différents. Une initiative qui a su galvaniser les foules en un temps record.
Afin de créer cette “infrastructure unique”, aligner au maximum les pratiques et définir une ligne conductrice, le projet se fonde sur des principes et valeurs que devront respecter les entreprises souhaitant prendre part au projet GAIA-X.
Les trois piliers portés par le projet sont les suivants :
Vous avez du mal à clairement identifier chaque concept ? Vous n’êtes pas les seuls. Fonder un projet sur des piliers dont les définitions ne sont mêmes pas encore figées au sein de la communauté a contribué à l’incompréhension et au flou ambiant autour du projet GAIA-X. Reproche qui lui a été fait à maintes reprises.
D’autres grandes valeurs européennes, comme la souveraineté, la transparence, la confiance ou même la convivialité viennent compléter le trio ci-dessus.
Initialement, le projet se structurait autour de 22 entreprises fondatrices (11 françaises et 11 allemandes). Parmi les entreprises françaises : Atos, Safran ou encore OVHCloud. Le projet compte désormais plus de 200 entreprises (fournisseurs de services, cloud providers, entreprises utilisatrices), de secteurs et de pays variés (dont 92% d’européens).
Une grande ligne conductrice du projet est donc de se structurer autour de “national hubs”, qui ont pour rôle de faire le relais au sein de chaque pays, et de porter les projets en interne. Au sein de ces national hubs, des “data spaces” ont vu le jour.
Plus concrètement, ce sont des groupes de travail répartis en 12 secteurs (santé, énergie, économie circulaire…) et ayant pour but de faire émerger des use cases précis faisant écho aux piliers ci-dessus et répondant à un besoin d’harmonisation des échanges de données.
A titre d’exemple, le French GAIA-X Hub est porté par le Cigref, réseau de grandes entreprises françaises dont l’objectif est de promouvoir le numérique. Ce hub a pour but de :
Si les premiers mois post-lancement ont permis de lancer la machine et de s’aligner sur une première fiche de route, une première timeline est communiquée au GAIA-X Summit les 18-19 novembre 2020 par le conseil d’administration.
Cette timeline permet non seulement d’ajouter un cadre au projet (et donc du concret), mais d’engager les parties prenantes sur des jalons communs : définitions des Policy Rules (définition des règles régissant l’association), assemblées générales, lancement de national hubs, webinars, etc.
Focus sur certains éléments de cette roadmap :
Ces Policy Rules visent à donner un cadre réglementaire au projet GAIA-X. Difficile d’avancer de manière concrète sans avoir un socle régissant les règles, réglementations, lois et politiques applicables au projet GAIA-X.
C’est donc une première réussite clé pour GAIA-X. Et concrète : ces Policy Rules listent de manière précise, dans un tableau récapitulatif, un ensemble de politiques (par grandes thématiques : protection des données, sécurité, localisation...), si celles-ci sont optionnelles ou obligatoires, et de quelle manière les entreprises souhaitant adhérer à l’association GAIA-X doivent les faire valider (notamment si besoin d’une certification extérieure).
L’organisation GAIA-X a vocation à adapter ces Policy Rules deux fois par an, en y ajoutant notamment de nouvelles réglementations en fonction des nouvelles entreprises à rejoindre l’aventure.
Outre l’aspect réglementaire du projet, existe-t-il des exemples concrets de projets ayant vu le jour ? Il est encore un peu tôt pour le dire, d’autant que chaque data space avance à son rythme et avec les moyens qu’il a à sa disposition, et tous ne produiront pas des use cases exploitables à même vitesse.
Prenons tout de même un exemple parlant, celui du data space “Mobility” du hub français. Ce groupe de travail se compose d’une dizaine d'entreprises dont Air France et Amadeus, et son objectif est donc d’élaborer des cas d’usage précis et propres à la mobilité, nécessitant un échange de donnéesaisé, sécurisé et souverain au sein de ce secteur.
Un premier cas d’usage a donc germé, autour du concept de “Seemless Travel”. Le concept ? Travailler sur le trajet d’un voyageur de bout en bout avec un billet unique pour l’ensemble de son voyage. L’enjeu est de pouvoir offrir une expérience fluide au voyageur, avec un accès en temps réel à toutes les données de son voyage.
Un projet “qui tient du Saint Graal” pour citer Dominique Epardeau, en charge de ce data space Mobility France. Compiler ces données semble “simple en apparence, mais jusqu’à présent nous n’avons pas réussi à combiner en temps réel les données de différents acteurs (aérien, rail, mobilité urbaine) dans un seul parcours”.
Certains data spaces en sont encore à leurs balbutiements, tandis que d’autres peuvent également s’appuyer d’initiatives déjà existantes.
C’est par exemple le cas du data space Agriculture, qui a la chance de pouvoir s’appuyer sur des initiatives comme Numagri, association ayant déjà pour but de concevoir les conditions de la standardisation des données numériques pour, à terme, permettre aux agriculteurs de mieux valoriser leurs productions.
L’arrivée d’Alibaba, AWS et autres entreprises non-européennes dans le projet a donné lieu à toutes sortes d’indignation, l’argument phare des détracteurs étant la mise à mal de la souveraineté européenne. Avec du recul, l’arrivée de ces acteurs internationaux n’est pas une mauvaise chose, et est même plutôt souhaitable.
Alban Schmutz, VP Strategic Development et Public Affairs d’OVHCloud, rappelle à juste titre l’objectif et l’essence même du projet dans une interview donnée à IT for Business :
“Il ne faut pas oublier que Gaia-X n’est pas uniquement un projet de fournisseurs Cloud européens. C’est aussi un projet d’utilisateurs européens qui utilisent déjà différents Clouds et veulent disposer d’offres satisfaisant les contraintes nationales et européennes sans pour autant forcément abandonner ce qu’ils ont déjà mis en œuvre sur les hyperscalers américains par exemple, s’ils bénéficient d’assurance en matière de transparence et réversibilité.”
En outre, l’organisation a précisé que toute entreprise n’ayant pas son siège social en Union européenne ne pourrait pas faire partie du conseil d’administration. AWS dans les discussions oui, dans les décisions non.
Nous en avons parlé plus haut, l’organisation compte en grande partie sur des relais pays, (national hubs) pour animer le projet, et sur des groupes de travail(data spaces) pour conceptualiser et mettre en pratique de premiers use cases.
Mais la rapide adhérence de multiples acteursà un projet qui est encore en phase de construction ajoute nécessairement une couche complexité et de la fébrilité à GAIA-X : comment se structurer de manière optimale ?
Quel rôle doit jouer la gouvernance générale du projet vis-à-vis des gouvernances pays ? Comment s’assurer que des data spaces de même secteur mais de pays différents communiquent efficacement entre eux et mutualisent leur connaissances et expériences ?
Autant de questions auxquelles l’organisation GAIA-X apportera certainement des éléments de réponsesuite à cette première assemblée générale du 7 juin 2021.
Si certains détracteurs reprochent à GAIA-X de ne pas délivrer suffisamment vite et d’être un projet encore trop abstrait et conceptuel, est-on en droit de plutôt penser l’inverse ? L’organisation souhaite justement accélérer l’incubation et la mise en place de premiers use cases sur les mois à venir : n’est-ce pas un risque au vu du manque de structure actuel de l’organisation ?